1. Les liens familiaux et sociaux bouleversés
Les proches rencontrés évoquent à quel point leur univers social est affecté par l’incarcération; aussi bien leur relation avec la personne incarcérée que celles qu’ils ont au sein de leur famille nucléaire et leur entourage social au sens large.
A. Les restrictions imposées et ressenties dans leur lien avec la personne détenue
Comme nous l’avons expliqué, l’incarcération pose des restrictions objectives et matérielles qui viennent limiter les moyens, la fréquence et le contexte des liens avec la personne incarcérée. Les multiples restrictions définissent en quelque sorte les façons d’être et d’entrer en relation avec l’être cher. Presque toutes les personnes rencontrées mentionnent la difficulté de se voir interdire tout contact physique pour des périodes plus ou moins longues selon le lieu d’incarcération initial.
Je veux dire, la chose qui est vraiment difficile au début et que j’ai entendue de la part d’autres parents encore et encore et, je veux dire, c’était 4 ans avant que je puisse embrasser mon fils. – Diane, mère.
Je n’ai pas pu l’embrasser depuis septembre dernier. – Tara, mère.
Et, vous savez, ce que vous voulez vraiment faire, c’est étreindre l’être aimé, non ? Tu veux vraiment l’étreindre et non, c’est par téléphone et avec du verre entre vous. Alors, c’est très, très dur. Très dur. C’est très inhumain. – Erika, mère.
Les procédures carcérales ont un effet structurel et structurant sur les interactions familiales dont elles limitent non seulement la quantité, mais également la qualité et l’expression.
Vous ne pouvez pas faire de cadeaux. Vous ne pouvez pas, vous ne pouvez pas, désolée, vous ne pouvez pas leur envoyer un cadeau d’anniversaire. Je ne peux pas envoyer d’argent à son anniversaire, n’est-ce pas ? Je ne peux pas lui envoyer de cadeau. Je ne peux pas envoyer, je ne peux pas donner de chocolats au personnel parce que Dieu sait qu’ils penseront qu’ils sont empoisonnés ou pire ou quelque chose comme ça. Je veux dire, vous ne pouvez rien faire. Alors, ça, ça, ça enlève cette sorte d’humanité. – Diane, mère.
Les propos de Nathan illustrent comment les mesures carcérales affectent, modifient et contrôlent les relations familiales.
Mais quand je vois mon père derrière cette vitre et que je me souviens qu’il a mis sa main contre la vitre, j’ai mis ma main contre la vitre et, euh, vous savez, c’était la première fois que j’allais en prison. Et, euh, c’était une expérience très effrayante et c’était très déchirant de voir mon père là-bas. […] La structure de la prison est partout dans vos interactions de manière très particulière. Où vous pouvez vous asseoir. Comment vous pouvez vous asseoir. Comment on peut s’approcher. Quand vous pouvez faire un câlin, quand vous ne pouvez pas le faire. Vous savez ? Ou si vous pensez à cette expérience où j’ai mis ma main contre le plexiglas, la prison sert littéralement de médiateur pour le contact physique que je peux avoir avec mon père, vous savez ? – Nathan, fils.
Les structures des moyens de contacts, combinées à leurs coûts, engendrent des autocensures des familles quant au contenu et au contenant de leur communication avec la personne détenue.
C’est la structure des visites, ben parce que je ne sais pas si vous êtes déjà allé dans un centre de détenus là, de détention, mais lorsqu’on est derrière les p’tites baies vitrés, qu’on est collés l’un sur l’autre, je m’excuse, c’est parce que même au téléphone, moi je n’y arrivais pas. J’avais de la misère à me concentrer pis entendre ce que mon fils me disait. On a l’impression qu’on crie tout le temps ou que tout le monde crie, ou que je sais pas là. Donc, c’est hyper inconfortable, on ne peut pas parler de n’importe quoi […] Faique dans le fond, on parle de la pluie et du beau temps. […] C’est très impersonnel. Moi je ne trouve pas que c’est conçu pour que ce soit plaisant pour nos détenus, absolument pas. Pis les appels téléphoniques, ça allait ça. Ça coûte les yeux de la tête, ça coûte une fortune. Fac c’est à frais virés qu’il nous appelle tout le temps. Fac, inutile de vous dire que moi et pleins d’autres maman et papa ont des factures très salées jusqu’à tant qu’on reçoive la première facture et qu’on fasse là ok. Là, je pense qu’on va se parler. Je comprends qu’ils veulent nous appeler, mais en même temps […] ça comme pas de bon sens. […] C’est sûr qu’au téléphone tout est enregistré, faique c’est sûr que… Bon, je ne vous dis pas que je ne l’ai pas engueulé. Mais quand même. – Zora, mère.
Vous savez, parfois il téléphone et doit se défouler et devinez quoi ? Je suis le, je suis le punching-ball, non ? Et il se met en colère et il est frustré et il crie et des trucs comme ça. […] On ne peut pas raccrocher, surtout quand quelqu’un ne va pas très bien, avec la dépression et tout ça. Mais l’appel téléphonique est leur seul lien avec l’extérieur […] – Cela me contrarie parfois, mais je suis assez certaine que ce n’est pas seulement moi. Qu’il a besoin de ce débouché. Alors, vous savez, j’essaie de ne pas le prendre à cœur. – Kim, mère.
Pour certains proches, les limites imposées, combinées à celles qu’ils s’auto-imposent, viennent s’accumuler et constituent un poids très lourd. Il en découle souvent une ambivalence face aux interactions possibles avec l’être cher. Cela peut entraîner une réticence à s’exposer et, par conséquent, à une diminution des contacts avec la personne incarcérée.
Je l’ai laissé comme 3 mois après la fouille à nu, ça se peut-tu que j’avais un trop plein pis que j’avais juste besoin de me retirer pis que c’était ma façon à moi de dire «han, je m’en vais respirer là ». Mais que j’étais pas capable de le dire comme ça […] à un moment donné j’y ai dit à Olivier « j’t’ai trompé pis je m’en vais ». Parce que tout le long que j’étais dans l’autobus, je pensais à comment lui dire de me retirer parce que j’en pouvais plus. Je voulais pas lui dire que ça venait de son milieu [la prison]. – Maude, conjointe.
Cet effet dissuasif sur les liens familiaux a été souvent rapporté lorsque les proches évoquent le scanneur à ions (voir pp. 20-21 pour description complète). Certains proches limitent leurs visites de peur d’un test positif qui aurait des conséquences pour eux et la personne incarcérée. Dans de tels cas, les politiques carcérales non seulement entravent l’expression des liens familiaux, mais menacent leur maintien et fragilisent le support apporté aux personnes détenues.
Le scanneur d’ions est destiné à empêcher les familles d’entrer. Et vous savez quoi ? Il fonctionne vraiment bien. Et c’est dommage. – Ines, mère.
B. Famille nucléaire
La famille nucléaire, qui comprend les parents et leurs enfants célibataires, se retrouve véritablement affectée par l’incarcération de l’un de ses membres.
Une chose que je vous dirais, c’est que lorsque votre proche fait de la prison, vous en faites aussi. Nous avons compté chaque jour. Nous avons compté combien de week-ends il y avait. Nous faisions aussi de la prison. Tout le monde est dans une situation d’attente et c’est vraiment dur pour la famille. – Erika, mère.
La tension générale que suscite l’expérience d’avoir un proche incarcéré suscite parfois des fragilités et disputes dans le couple.
Dire que nous étions fragiles les uns avec les autres serait très, très, peu dire. Oui, nous l’étions, nous étions faits de verre et nous marchions sur des œufs. Et nous nous battions au pied levé et nous nous disputions à propos de choses que nous n’avions jamais faites auparavant. Et ça s’est finalement calmé et nous sommes beaucoup mieux maintenant, mais c’était très dur. -Jeff, père.
Les réactions de rejet de l’individu incarcéré par certains membres de la famille entraînent des tensions et parfois des mises à distance avec ceux qui décident de maintenir le lien.
Je pouvais pas en parler à ma mère non plus parce que ma mère en avait vraiment pas la, la même vision. Puis c’est normal. Puis, moi et ma mère, on n’a jamais eu cette conversation-là et on l’aura jamais. Parce qu’on voit pas ça de la même affaire. Puis c’est normal. T’sais, je veux dire, moi, c’est mon père; elle, c’est son ex. On n’a pas la même vision. On n’a pas la même vision que lui, de l’histoire non plus […]On a juste mis ça au clair un jour. On a voulu en parler une fois. On a senti que, là […] on montait le ton parce que, là, on commençait à, à avoir des désaccords. Puis on a juste fait comme: «On mange quoi pour souper?» Bien, genre… ça a comme arrêté tout de suite là parce qu’on s’est dit: «O.K., on vient de réaliser que, là, on n’aura jamais la même conversation là-dessus. Puis c’est correct.» – Olivia, fille.
J’ai une belle-sœur qui ne veut plus jamais rien avoir à faire avec mon frère. J’ai un père qui est parti en Europe pour s’éloigner de tout ça, de tout ça […] J’aurais aimé ne jamais avoir parlé de ce crime à ma belle-mère. Parce que, sa réaction à toute cette affaire a été complètement bouleversée et je ne vais pas dire que c’est la seule raison pour laquelle ma belle-mère est une grande partie du problème qui a causé des frictions dans notre mariage. J’en suis arrivée à un point où j’ai dit à mon mari qu’il fallait choisir entre sa mère et moi. “Je ne peux pas m’occuper de ta mère.” Nous sommes allés les voir à Toronto, mais je manquais de sommeil et sa mère m’a parlé de quelque chose dans la cuisine et les choses ont explosé. Et, entre moi, sa mère et les enfants, il y avait le salon. Ils ont tout entendu et mon mari est resté là, figé. Il ne savait pas quoi dire. Il ne savait pas quoi faire. Et, je lui ai dit après, j’ai dit : “En tant qu’épouse, je me serais attendue à ce que tu me protèges. Que tu interviennes et que tu m’aides. Mais la congélation n’a pas vraiment fait grand-chose. Et, je lui ai dit à ce moment-là, j’ai dit : “Tu sais quoi ? Je ne veux rien avoir à faire avec ta mère” […] Il y a quelques années, quand tout ça a éclaté, oui, notre relation n’était pas solide. Et, au cours des deux dernières années, notre relation est devenue beaucoup plus solide. Cela a moins d’impact sur notre relation que, par exemple, mon mari n’a jamais eu d’intérêt, comme lorsque je remplissais les papiers pour aller rendre visite à Kingston ou là où mon frère s’est retrouvé. J’ai demandé à mon mari, par exemple, si vous vouliez remplir ou si vous aviez des – Seriez-vous intéressé à aller rendre visite à mon frère, par hasard ? Et il m’a répondu : “Non, non. Je n’en ai pas l’intention”. J’étais, j’étais d’accord avec ça mais, c’était, c’était blessant. – Carmen, soeur.
Les relations au sein de la fratrie semblent particulièrement difficiles quand l’un des enfants est incarcéré. La relation fraternelle est fragilisée en raison des événements et certains frères et sœurs rompent les liens , souvent temporairement, avec la personne incarcérée.
Puis, au début, ma famille ne voulait pas le voir, ma fille ne voulait pas voir son frère. Là, ça commence, ça fait peut-être juste 6 mois qu’elle va venir ici avec ses filles. – Joyces, mère.
Mais les témoignages recueillis évoquent surtout à quel point l’incarcération bouleverse la dynamique parentale et suscite un déséquilibre entre l’attention apportée à l’enfant incarcéré et celle dédiée aux frères et sœurs.
Je lui en veux [à mon père] de ne même pas avoir envisagé que ma mère puisse avoir quelque chose à faire et il l’appelle plusieurs fois par jour, tous les jours, tout le temps, tout au long de l’année. Tout le temps, putain. […] Et c’est, comme, j’avais besoin d’aller faire des courses et ma mère surveille ma fille et elle sera au téléphone tout le temps. Lui, il se plaint juste de la façon dont il déteste sa vie. […] Et, c’est assez pour que, oui, je lui en veuille tous les jours. – Mona, soeur.
Les mères rencontrées évoquent elles-mêmes les reproches, selon elles justifiés, de leurs enfants qui se sont sentis délaissés durant la période de l’incarcération de leur frère.
Noël n’a jamais été le même […] mes deux filles en ont été bouleversées. Mais oui, je ne pouvais pas, je ne pensais pas que j’étais censée apprécier quand il manque un grand rôle et ça ne me semblait pas juste. Elle m’a dit : “Maman, on est toujours là. Regarde-nous. On est là.” “Non, non, non, ton frère, c’est…” “Maman, on est juste devant toi.” Et donc, j’ai dû faire un [examen de conscience] et oui, qu’est-ce que je fais ? Vous savez, qu’est-ce que je fais, je pense que j’aide un problème et que j’en crée un autre, vous savez ? – Fanny, mère.
Vous savez, nos enfants étaient tous, au début de la vingtaine, nous ne les avons pas fait participer. Vous savez, on essayait juste de se protéger et… Vous savez, essayer de garder notre fils, qui avait été arrêté, sur un pied d’égalité et nous n’avons pas fait ce que nous devions faire avec nos autres enfants […]. Après qu’ils, vous savez, nous avions partagé la façon dont nous étions traités. Nous les avons en quelque sorte mis à l’écart et avons cessé d’être des parents pour eux. Nous ne pensions pas l’être, à l’époque. Nous pensions que nous les protégions. Mais en fait, ce que nous avons fait, c’est de les exclure. C’est ce qui a fini par se produire… Et vous savez, quand quelque chose comme ça arrive, vous, vous vous concentrez sur les problèmes. Donc, je le sais maintenant. Et, en fait, je me suis excusée auprès de mes autres enfants et je leur ai dit : “Je me rends compte maintenant que j’ai cessé d’être une mère pour vous.” Et ils m’ont répondu : “Oui.” Ils l’ont fait. Et ils ont dit, “Nous comptions sur nos amis pour nous soutenir.” Alors, ils étaient, ils étaient pleins de ressentiment envers mon autre fils. Donc, les relations se sont améliorées. Elles se sont améliorées, c’est sûr, mais ce n’est pas grâce à nous […] Et donc, il leur a fallu du temps pour reconstruire la relation. Je veux dire, maintenant c’est bien, non ? Ils font des choses ensemble et c’est bien. Mais ça fait six ans, plus de six ans maintenant. Donc, c’est différent. Mais ça a pris du temps. Beaucoup de conversations qu’ils ont eues seuls et dont nous n’étions pas au courant. – Erika, mère.
AUTRES RÉFLEXIONS SUR LES RELATIONS ENTRE LES FAMILLES NUCLÉAIRES…
Dans sa thèse, Drew Taylor, membre de cette équipe de recherche, a effectué une analyse approfondie de huit entretiens non structurés avec des membres de la famille nucléaire de personnes criminalisées en Ontario et au Québec, qui révèle les diverses façons dont l’intervention de la justice perturbe la vie et les relations des membres de la famille.
L’intervention de la justice pénale déclenche un effet domino d’événements stressants, sur lesquels les membres de la famille ont peu ou pas de contrôle. Tout en se débattant avec des sentiments de peur et de désespoir, les membres de la famille nucléaire se retrouvent souvent à assumer des rôles et des responsabilités supplémentaires au sein de la famille. L’analyse de Taylor (2020) met en évidence le stress que l’intervention de la justice a sur le sentiment d’identité de chaque membre, ainsi que sur les ressources et les relations de la famille nucléaire.
Il convient de noter que la recherche de Taylor (2020) met en évidence la nature auto-imposée des responsabilités morales et juridiques des membres de la famille nucléaire à l’égard de leurs proches criminalisés. Ceci est contraire à la littérature similaire qui se concentre sur les responsabilités des membres de la famille mandatés par l’État. Lorsque les membres de la famille assument la responsabilité personnelle des conséquences de la criminalité de leurs proches, ils éprouvent souvent des sentiments de culpabilité, d’échec et de culpabilité. Ces sentiments conduisent ensuite à des réévaluations négatives du rôle, révélant que l’autocritique interne est souvent aussi sévère, sinon plus, que celle impliquée par le système de justice pénale.
Les ressources des familles nucléaires sont considérablement affectées à la suite de la criminalisation de leurs proches. Les proches se sentent souvent obligés de mobiliser leurs biens financiers et matériels pour aider leurs parents impliqués dans la justice. Entre le coût des frais juridiques avant la condamnation et le coût des appels téléphoniques, du transport et de l’hébergement après la condamnation pour maintenir les relations avec les proches incarcérés; les membres de la famille nucléaire doivent gérer des tensions financières considérables. Ces tensions sont exacerbées par le fait que les membres de la famille doivent souvent protéger les biens de leurs proches dans leur propre maison pendant leur détention. Avec peu d’avertissements, la vie des membres de la famille nucléaire est consumée par et tourne autour de l’intervention de la justice.
Alors qu’une grande partie de la documentation existante sur les familles de personnes criminalisées au Canada met en lumière les conséquences du stigma sur les relations, les membres des familles nucléaires de l’étude de Taylor (2020) décrivent leurs relations avec des proches criminalisés en termes de deuil et de perte. En utilisant la théorie de la Perte Ambiguë de Boss (1999, 2006) pour dresser un portrait détaillé des expériences relationnelles des membres de la famille nucléaire à la suite de la criminalisation d’un proche, Taylor (2020) souligne les graves ramifications interpersonnelles de l’intervention de la justice pour les familles des participants.
Pour plus d’informations, veuillez consulter la thèse publiée de Taylor (2020) : https://ruor.uottawa.ca/bitstream/10393/40409/3/Taylor_Drew_2020_thesis.pdf
C. Entourage
Les impacts liés au fait d’avoir un proche incarcéré s’étendent également aux relations extrafamiliales, que ce soit dans les relations avec la famille élargie, les amis, les collègues de travail, les gens croisés au magasin, etc. Les personnes rencontrées dans le cadre de la recherche font état de tout un éventail de réactions, positives ou négatives, allant du jugement aux menaces, dans leurs interactions avec leur entourage immédiat ou avec le grand public.
Les proches font souvent face aux jugements moraux de la part de leur entourage. Certains témoignent de la désapprobation ouvertement mentionnée ou simplement perçue face à leur volonté de maintenir des liens avec leur proche détenu. D’autres indiquent s’être fait encourager à couper toute forme de contact avec la personne détenue.
Avec ma sœur, on a eu, au début là, je sentais qu’elle me jugeait. Je ne sais pas si ça vient de moi. Il y a des commentaires qu’elle disait pis je les sentais vraiment comme un poignard, là. Il y a des fois, on allait le voir, pis qu’on revenait et qu’on ne se disait pas un mot dans l’auto. […] Pis, je sentais tellement qu’elle me jugeait. Faque là, quand je suis arrivée la première fois, j’étais avec elle et je pleurais et elle m’avait dit « ben là, c’est genre, ce n’est pas pire qu’à…» tsé *Centre jeunesse fermé* […] Mais j’ai jamais senti qu’elle était un soutien. Je ne pouvais pas pleurer en parlant de X. J’avais tout le temps l’impression qu’elle était froide pis comme… ben genre… « c’est peut-être de ta faute » . C’est de même que je le sentais. – Alexandra, mère.
Parce que des fois, mes parents ont comme, t’sais, ils veulent t’sais comme m’aider. Ils ne sont quand même pas pires, mais au début, ça été ben dur parce qu’ils n’étaient pas disponibles. C’était peut-être trop pour eux autres, je ne sais pas. Mais t’sais, des remarques qu’ils vont faire, mettons que j’en parle, mon père va dire : « ouin ben, il dit, ton gars de toute façon, il est menteur depuis qu’il est bébé ». C’est parce que j’ai-tu besoin d’entendre cela en plus de ce que je vis présentement? Fac c’est quand même des jugements aussi. – Noémie, mère.
La grande sœur, ma grande soeur, elle me donnait des conseils. Attends-tu donc… c’était du genre: « va-t’en en Europe. Lâche tout, va-t’en, tu n’as pas à t’occuper de lui ». Ils ne comprennent pas l’espèce d’obstination qu’on a à vouloir les aider. – Maryse, mère.
Puis ça… je me suis déjà battu au bar avec une fille à cause de ça. J’avais pogné une bouteille de bière puis je savais que j’allais y crisser dans la face. […] elle était avec ses amis. Puis, là, ils riaient. […] Ça fait que, là, à un moment donné, je me suis revirée puis je leur ai demandé, j’ai dit: «Ça… tu as-tu quelque chose à me dire, genre, honnêtement? Dis-moi-le, genre.» […] elle s’est retournée de bord puis elle m’a dit: «Veux-tu que je te le dise? Ton père, c’est un ostie de cave, euh. Il a violé les femmes, euh. Puis, toi, tu lui parles encore. Tu habites avec. Euh, ça devrait tous mourir.» – Olivia, fille.
Un ami m’a dit : “Tu devrais t’en aller.” Quelqu’un m’a dit : “Coupe tes pertes. Tu as deux autres enfants.” – Kim, mère.
Dans le cadre des relations de travail, les personnes interrogées font mention de reproches et de jugements, mais également de changements d’attitude à leur égard, en raison du simple fait d’être “coupable” d’avoir un proche en détention.
Ils ont jugé, avant tout. Ils ont jugé. J’ai donc travaillé avec un personnel très nombreux. Peut-être quarante personnes. Et les gens qui avaient été très amicaux avant ne me regardaient plus dans les couloirs. Et c’était un vrai coup de semonce. La façon dont on me jugeait aussi. Vous savez ? […] C’est horrible, non ? Donc, oui, tout le monde dans la famille est jugé. “Woah, quel genre de famille c’est ? Quel genre de famille c’est ? Son fils enfreint la loi. Il doit y avoir quelque chose qui ne va pas avec leur éducation. Il doit y avoir quelque chose qui ne va pas dans leur famille, non ? Qu’est-ce qui se passe derrière les portes de cette famille, de cette maison familiale ?” Donc, nous avons tous été jugés. Absolument tous jugés. – Erika, mère.
Donc, Joe, étant la personne qu’il était, je pense qu’ils – Comme, ma caisse était à court de cinq dollars un soir ou quelque chose comme ça. Comme, au moment du retrait. Donc, il était du genre, “Oh, le vol est de famille”. – Ophelia, soeur.
En plus de subir les jugements désapprobateurs de plusieurs, les participants évoquent ouvertement avoir vécu un manque de soutien de la part de leur entourage immédiat. Le manque ou l’absence de soutien, que ce soit de leur famille, leurs amis, des collègues de travail ou de la société, est perçu comme une énième conséquence d’avoir un être cher en prison.
Je n’ai pas eu beaucoup de soutien de ma famille au début. Ça j’ai trouvé ça très difficile aussi. Mais moi, j’étais là j’étais là pour supporter mon fils. – Joyce, mère.
On n’a pas beaucoup de soutien, c’est difficile de se remettre de cela. Tu te dis quand ça va finir? Je ne sais pas quand ça va finir. On dirait qu’il n’y a pas de date de fin à ça. Pis c’est cela. Ça scrap la vie de bien, bien du monde. – Anne, mère.
Dans certains cas, le sujet est devenu une source de conflits et de tensions dans les relations.
Tsé, je n’ai pas eu, moi, de gens qui me parlent plus, mais j’ai des amis qui avaient des enfants à peu près de l’âge des miens pis qui ont été élevés pas mal ensemble qui, t’sais… Ils ne veulent pas que leurs filles entrent en contact avec mon fils. Pis ça, je le comprends super bien, mais ça fait mal t’sais, de se faire dire ça là… T’sais, une amie que j’ai depuis que nos enfants sont petits. Nos enfants ont grandi ensemble. Pis là… Je comprends qu’elle a peur, que ça… parce que mon fils en sortant de prison, il a « pimpé » des filles dans un réseau de danseuses machins là… Fac, je comprends qu’ils ne veulent pas que leurs filles entrent en contact avec lui, là. Je comprends super bien, mais ça fait quand même mal, parce que c’est mon enfant. – Alexandra, mère.
Et je trouve que cela a un peu gâché notre relation parce que je sens que ce n’est pas quelque chose sur lequel je suis prêt à bouger et je peux dire que ce n’est pas non plus quelque chose sur lequel elle est prête à bouger. Et c’est quelque chose que nous avons convenu mutuellement et qui ne vaut pas la peine, comme le fait d’avoir une relation terminée si nous ne sommes pas d’accord sur ce point. – Kaley, fille; à propos de sa tante.
Ce sont les membres de ma famille qui ont été les plus durs, n’est-ce pas ? Et c’est donc là qu’est apparu le véritable stigmate. Vous savez, et la pire insulte pour moi en tant qu’enfant a été de me faire dire que je suis comme mon père. Donc, si je suis mauvais, je suis comme mon père. C’est à cela que je me suis associé. “Tu es comme ton père parce que tu es mauvais.” – Nathan, fils.
Lorsque les réactions dans leur milieu s’avèrent négatives, certains des participants ont indiqué que, bien que déçus, blessés ou frustrés, ils se sont résignés face à la distanciation de leur entourage envers eux et leur proche incarcéré, indiquant, pour certains, comprendre les motivations derrière ce besoin de distance et de coupure relationnelle.
Au départ j’ai perdu beaucoup, beaucoup d’amitiés.[…] J’suis tombée moi aussi t’sais comme tout le monde quand on tombe en amour puis surtout quand on veut se marier veut, veut pas… on le disait à tout le monde, peu importe la situation. Pis… Oui j’ai perdu beaucoup d’amis.. Mais en même temps (silence) j’me dis que ces amis-là m’ont pas respecté mes choix. Mais… sur le coup je comprenais leur peur. Heu… Y’a des amis que.. ils sont restés mes amis, mais que c’est leur conjoint qui faisait des pressions. T’sais « ok ». t’sais j’ai mon amie Julie* qui… j’peux aller chez eux pis à un moment donné heu quand qu’ils ont commencé à avoir des enfants, en 2-3e, le conjoint de mon amie a dit «t’sais Maude, t’as envie de sortir vous allez vous voir ensemble mais j’aimerais que t’aies plus contact avec les enfants.» J’ai eu ce genre d’attitudes là.… j’ai eu des amies qui m’ont dit « t’es folle » (rires) qui m’ont tassée. – Maude, conjointe.
Ma famille, ben c’est difficile parce que mon frère, ma belle-sœur c’est son parrain, marraine. Là eux autres ont vraiment décroché. Puis, ils ont deux enfants, 28 et 30 ans qui sont parents depuis cet été. Pis t’sais, eux autres, depuis qu’il a ses problèmes… t’sais, ils ont peur de lui. Pis je peux les comprendre. – Noémie, mère.
Un ami m’a dit : “Je ne peux pas suivre le chaos dans lequel tu vis. Je ne peux pas faire face à – ” […] Juste, vous savez, elle venait me rendre visite et j’étais assis là dans une flaque de larmes et, vous savez, “Qu’est-ce qu’il y a ?” Et “Tu m’as demandé, je t’ai dit.” Et de toute façon, j’ai perdu un ami là-bas. – Kim, mère.
Un autre ami de 20 ans me téléphone et je pleurais, je pleurais, je pleurais beaucoup. Mais je réponds au téléphone parce que je pensais que c’était mon fils qui m’appelait. Il était incarcéré à ce moment-là. “Voyons Rosalyne, pourquoi tu pleures comme cela?” J’ai dit: “je vais te dire quelque chose”. Je pleurais, je pleurais, je pleurais. “Mon fils est en prison”. Fini! Terminé! Terminé!, c’était une des personnes sur mon testament pour liquider, liquidateur testamentaire. Il a démissionné. C’est très, très, très, très difficile! […] il y a des personnes (dans le groupe de soutien) “ah, ma soeur ne me parle plus, ma mère ne me parle plus, mon frère ne me parle plus, mes voisins ne me parlent plus”. Moi, d’une certaine façon, on est chanceux parce qu’on n’a pas de famille. – Rosalyne, mère.
Dans le milieu de travail, certains participants doivent non seulement affronter des jugements négatifs, mais à l’occasion des représailles. C’est ce que décrit Noémie, qui a dû défendre ses droits auprès de son employeur, car la situation de son fils impactait alors sa santé et sa capacité à travailler, notamment en raison des congés qu’elle devait prendre pour s’absenter du bureau. Maude, quant à elle, a été forcée de changer d’emploi complètement.
Pis là, ils [mes patrons] voulaient me faire signer un papier comme quoi si j’étais, si je m’absentais pour maladie, il fallait que ça soit vraiment grave, sinon, même si j’avais des malaises, il fallait que je me présente au bureau. Je n’ai pas signé. Pis, là, je travaillais deux jours semaines. La première journée que je suis arrivée, ma coordonnatrice m’a donné 10 dossiers, donc un genre copie conforme des problèmes de mon gars. Fac je suis allée la voir, j’ai dit : « là je ne sais…» j’ai été cinglante aussi, j’ai dit: « je ne sais pas il est où ton jugement clinique […] malgré que je suis encore malade un peu, ben j’en ai un pis je ne pense pas que je vais pouvoir aider cette personne-là en ce moment avec ce que je vis alors donne-moi en un autre ». Fac, j’ai eu beaucoup de pression de ne pas m’absenter. Fac c’est sûr que je n’étais pas vraiment contente. Pis ce n’était pas fini les problèmes là. Même en janvier, ma boss elle me dit, elle m’a demandé : « pis ton gars comment ça va? ». J’ai dit : « ah, ça va », il faisait comme -30 dehors. J’ai dit : « mon fils est en fugue depuis une semaine. On ne sait pas où est-ce qu’il est ». Ma patronne, pis elle était là à cette réunion-là, à me taper dessus. Elle me dit : « ah ben je ne sais pas comment tu fais, moi je ne serais pas capable de venir travailler ». Je l’ai regardée, j’ai dit: «est-ce que j’ai le choix? ». Fac t’sais, c’est ça. Le bureau de santé a essayé de me mettre en boîte, le syndicat m’a défendue. J’ai même eu de l’argent pour, dans le fond, un peu pour réparer là. – Noémie, mère.
En milieu scolaire bah c’est ça. François* […] a appelé aussi le directeur et la directrice de la commission scolaire. J’ai été rencontrée. Pis à chaque début d’année, on a une assemblée générale qui nous rencontre dans un auditorium tous les employés […] Et heum… […] le DG de la commission scolaire à cette époque-là avait dit « nous n’acceptons pas dans la salle (rires). La commission scolaire n’endossera jamais qu’une personne marie un détenu […] ». Je suis assis dans l’auditorium et je sais que c’est sur moi là y’en a pas 15 personnes comme ça là… Mais c’est parti de mon ex-conjoint, le père de mon fils, qui a pas apprécié la situation, qui a fait de son intimidation. Donc à partir de ce moment-là j’ai comme essayé de […] de taire pis j’me suis retirée comme éducatrice pour pas que les parents aient peur parce que j’ai été rencontrée aussi par la direction d’école. Donc à ce moment-là j’ai.. j’me suis retirée pis j’suis tombée dans l’administration […] J’me suis carrément retirée de c’que j’aimais. – Maude, conjointe.
Il importe cependant de nuancer ces propos, car plusieurs ont rapporté avoir reçu un support inconditionnel, indiquant même en parler sans gêne ni crainte de voir surgir certaines tensions. C’est le cas notamment de Mary, qui ne s’est jamais cachée d’avoir pris pour époux un homme incarcéré.
[…] Moi je suis chanceuse, parce que j’ai du monde autour de moi, pis beaucoup de professionnels, j’ai des amies travailleuses sociales, j’ai des amies infirmières. J’ai quand même un réseau de professionnels qui sont au courant, mon médecin de famille est au courant. Tsé, il y a combien de femmes qui n’en parlent pas, soit à leur médecin de famille, ils n’en parleront pas aux leurs t’sais… Moi je connaissais une femme qui était mariée, qui avait deux enfants et personne savait que son conjoint c’était un gars en dedans. Elle avait dit qu’elle était tombée enceinte dans un voyage pis après elle avait décidé de garder les enfants. […] À Noël, mon mari, mon mari a une liste de 150 personnes qu’il peut appeler à Noël, il peut appeler un paquet de monde, toute ma famille, tous mes amis, le trois quarts de mes amis. Ma chum dit, “donne-moi son adresse, j’envoie des cartes postales”. Moi, j’ai des amis partout dans le monde […] ils envoient des cartes postales, souvent je sais ce qui se passe dans leurs vies par lui. – Mary, conjointe.
Je ne pense pas que je puisse demander mieux. Là où je travaillais, à l’église où je travaillais, le ministre était très impliqué et connaissait et priait avec d’autres personnes à l’église. Son patron aussi, comme si tout le monde disait, tout ce dont j’ai besoin. Faites-le leur savoir. Le travail, mon travail, c’est la même chose. “Y a-t-il quelque chose que nous puissions faire ? Faites-le-nous savoir.” – Dem, conjointe.
J’ai eu des offres de m’aider l’année passée à peu près ouin, au mois de novembre, l’année passée, quand j’allais pas bien. Une de mes chums est venue ici, elle a tout apporté ses affaires, on a fait de la popote ensemble, faire des pâtés pis des affaires qui se réchauffent. Pis t’sais, c’est une fille qui travaille fort, elle a trois enfants. Tsé je veux dire, elle a sa vie. Ça, ça m’a tellement, esprit […] une générosité incroyable, je capotais quand c’est arrivé. Non, j’ai eu beaucoup de support. – Anne, mère.
D’autres participants témoignent de l’ouverture d’esprit et de certains accommodements mis en place dans leur milieu de travail.
[…] Pis moi je suis chanceuse, ils ont toujours su où je travaille parce que moi mon bureau, mon numéro de bureau, ils avaient appelé mon employeur pour lui dire qu’on aurait des appels à frais virés du pénitencier. Pis ma boss elle a dit [oui, et alors]. Mais, c’est pas tout le monde. Moi je ne le cache pas, tout à coup quand tu le caches à ta famille, à ton employeur, déjà tu vis dans un mensonge, tu parles à qui et as-tu les bonnes réponses. – Mary, conjointe.
Je travaille dans un établissement de santé là, avec mon employeur… oui, mon supérieur immédiat était au courant là, parce que t’sais des fois j’avais besoin de congés. Ou t’sais, des fois, je pleurais au travail ou, t’sais… Fac oui, elle était au courant. La plupart des collègues qui étaient proches de moi étaient au courant pis soutenants. – Alexandra, mère.
D. Lorsque le cas est médiatisé….
À plus grande échelle, certaines des personnes rencontrées ont dû jongler avec le jugement du tribunal sociétal, puisque le délit de leur fils ou de leur conjoint s’est retrouvé dans les médias. Certains témoignent du harcèlement de la part des journalistes, d’autres des impacts négatifs qu’a eus la médiatisation dans leur vie quotidienne. Certains ont témoigné avoir reçu des menaces et avoir craint pour leur sécurité en raison des proportions qu’a pris l’histoire dans les médias. D’autres mentionnent simplement leur soulagement que le crime de leur proche soit passé sous le radar médiatique.
Et nous arrivions au tribunal le matin et tous les caméramans se précipitaient pour vous prendre en photo alors que vous étiez, que vous arriviez, que vous entriez, au tribunal. Je veux dire, vraiment … C’est l’un des pires moments de, de, de, de notre, de la vie d’une personne et, et puis cet essaim de vautours arrive. C’est la seule façon dont je peux le décrire. – Diane, mère.
[…] Ce que j’ai trouvé le plus difficile dans tout cela entre autres, c’est les médias qui font tout un tollé d’un geste qui est anodin dans le fond, ils ne contextualisent pas. Ils n’ont pas l’historique du personnage, ils font juste faire du sensationnalisme et ça, ça me rentre dedans, à chaque fois. Parce que j’habite dans un petit patelin, j’habite en campagne, les gens me connaissent. – Maryse, mère.
Eh bien, je suppose que même quand ça a commencé, ok, quand ça, quand il a été arrêté pour la première fois, c’était devant, euh, sur la station de radio. Je recevais des appels téléphoniques. C’était à la télé. Um, à travers le Canada, parce que je connaissais des gens à Vancouver et Winnipeg et je recevais des appels de là-bas. Puis j’ai vérifié et c’était même la côte Est, que ça avait fait la une des journaux télévisés. […] On a fait bombarder notre maison d’œufs. Notre fenêtre a été brisée. Oh, je suppose que le plus gros problème qui s’est produit était là, on a sonné à la porte plusieurs fois et je suis allé à la porte et il n’y avait personne, alors je me suis dit : “OK. Hum, bizarre. Mais j’ai regardé en haut de la rue, en bas de la rue, je n’ai rien vu, je suis rentré dans la maison. C’est arrivé, vous savez, quelques fois comme ça et puis il y avait une note laissée sur la porte, qu’ils prenaient mon enfant … et l’attachaient et la violaient. (pleurs) Alors … nous avons fini par devoir appeler la police parce que c’était notre, notre sécurité, n’est-ce pas ? – Fanny, mère.
Ça fait que, quand je suis allée là-bas, je m’en rappelle, j’étais dans les escaliers. Puis il y avait les journalistes qui étaient dans l’escalier de la cour[…] Puis les journalistes parlaient. «Ah oui, sa fille, Olivia*, elle a quel âge? Na-na-na.» «O.K., elle a l’air de quoi?» «Oui, c’est une blonde. Na-na.» Puis ils avaient des photos de moi, genre. Puis ils parlaient de moi, ils voulaient me pogner, genre, pour me parler ou me poser ou, peu importe, savoir si j’allais être là. Mais, à quel point, genre, tu, tu, tu veux, comme, aller chercher du jus. – Olivia, fille.
Il ressort que le message social véhiculé dans les médias et par le grand public vient teinter les interactions des personnes ayant un proche incarcéré. Les réactions que rencontrent les proches de personnes détenues sont intimement liées au stigma associé à l’incarcération et au crime au sein de notre société. Diane explique d’ailleurs que les proches sont davantage exposés aux réactions sociales que suscite l’incarcération.
Il y a tout un ensemble, je veux dire, d’une certaine manière, il y a une irréalité pour les gens en prison. Ils n’ont pas à faire face au public. Ils n’ont pas à regarder leurs voisins. Vous savez, ils n’ont pas à faire tout, tout ça, vous savez ? – Diane, mère.
Les jugements, les tensions et les pertes émanant de divers cercles sociaux sont fréquents malgré l’appui et le soutien parfois rencontré. Les liens familiaux et sociaux des participants sont sérieusement affectés par l’incarcération de leur proche. Ces difficultés relationnelles s’ajoutent aux conséquences et aux nouvelles réalités avec lesquelles les participants de la recherche doivent composer, notamment au niveau de leur santé et situation matérielle.
2. L’économie familiale mise à mal
Notre recherche documente les conséquences matérielles de l’incarcération et la précarisation économique des proches qui subissent une diminution des ressources et une augmentation des dépenses. L’économie de la famille est grandement affectée par les coûts internes (appels à frais virés et achats de cantine) et les coûts externes (frais d’avocat, transports, assurances, déménagement, etc.).
Oh, l’argent que ma mère a effectivement mis dans l’Institution ou la Cabane familiale, elle devrait recevoir une plaque. Elle devrait recevoir plusieurs plaques pour, par exemple, soutenir l’Institut. Toutes ces mères devraient. Elles passent toutes par là. Elles doivent toutes prévoir un budget pour le téléphone parce que c’est leur fils. […] C’est une façon de communiquer avec eux et s’ils perdent ça, vous risquez de perdre votre enfant. – Mona, soeur.
Et le truc de la nourriture, aussi, mon fils a mis de l’argent pour la cantine et vous savez, j’ai de la chance d’être dans une situation financière stable, je suis capable de faire ça. C’est avec notre budget familial que nous essayons de le soutenir, mais nous le voulons. Mais les familles qui ne peuvent pas se permettre de faire cela et parce que […] Et, comme je l’ai dit, il n’est pas très grand, mais la nourriture, la quantité qu’ils reçoivent n’est pas suffisante. Il a faim, donc il doit prendre des suppléments avec des barres protéinées et des barres énergétiques de la cantine, donc il n’a pas faim. Et il a appris des autres détenus, vous savez, qu’il faut garder une chose de son repas pour que plus tard, quand on a faim, on ait quelque chose à manger. Parce qu’au moins, vous aurez de la nourriture dans l’estomac… Mais … Et, et encore une chose, la cantine, les choses sont si chères. Très cher. Et au début, je me suis dit, pourquoi la prison en profite ? Je me fiche que ce soit pour acheter de nouveaux livres pour les détenus ou autre chose. […] Ils ont de la compagnie qui fait payer 5$ pour un tube de dentifrice ? C’est ridicule. Personne ne fait payer ça dans les autres magasins où nous faisons nos courses, qui font encore beaucoup d’argent. Alors, pourquoi est-ce que c’est normal de leur faire payer plus cher et le stress des familles et les dépenses pour essayer de leur fournir quelque chose, pour moi c’est juste, c’est juste une autre insulte et profiter de gens qui n’ont pas d’autres choix. Je ne sais pas. – Gina, mère.
J’ai toujours travaillé, malade, pas malade, je rentrais travailler. Le seul temps que je ne rentrais pas c’est quand mes enfants étaient malades. Pis là, t’sais, tu réussis à te mettre des petites économies de côté. Mais là, tout ce que j’avais de petites économies de côté a tout passé dans les avocats, les médecins, les thérapies, les… […] Je suis venue pour changer d’assurance, ben je ne suis plus assurable parce que quelqu’un qui a un dossier criminel. […] ça me coûte le double d’assurance parce que je vis avec quelqu’un qui a un dossier criminel chez nous. […] Là, tu te fais mettre les bâtons dans les roues. Pis, il me semble que je n’aurai pas besoin de cela en ce moment de me faire mettre les bâtons dans les roues. – Anne, mère.
Si certaines familles sont en situation de mieux pouvoir absorber ces coûts, pour d’autres la précarité économique s’installe et les dettes s’accumulent.
Nous avons eu la chance d’avoir des moyens. Il pouvait nous appeler aussi souvent qu’il le souhaitait. Nous pouvions mettre de l’argent sur ses comptes pour qu’il puisse acheter des timbres et nous pouvions lui rendre visite une fois par semaine. C’est la condition optimale, n’est-ce pas ? Situation. Donc, si vous n’avez pas de moyens, comment pouvez-vous maintenir cette relation sans vous endetter ? – Erika, mère.
Le témoignage de Kim illustre bien les multiples enjeux que l’incarcération d’un être cher engendre sur l’économie et le développement professionnel de ceux qui le soutiennent.
Nous avons fait faillite il y a quelques années. Juste, vous savez, tout. C’est toujours – C’est – Je n’ai jamais été capable de trouver un vrai travail parce que je ne peux pas.. […] Je n’aurais jamais pu trouver un emploi avec tout ce que j’ai vécu avec lui parce que le nombre de fois où j’ai été au tribunal… aller lui rendre visite… Donc, oui, je n’aurais pas pu garder un emploi où je devais être là tout le temps parce que j’aurais – Même si j’avais pu le faire mentalement, j’aurais dû rater trop de choses, vous savez, avec la crise de mon fils…. Et, vous savez, un mauvais jour pour mon fils, si c’est 6 appels téléphoniques, c’est 2 heures de ma journée. Les journées ne sont pas si longues… Je pense que pour tout le monde, ça nous a fait prendre du retard, financièrement. Une grosse, vous savez, à cause du travail et parce que c’est cher d’avoir un enfant en prison. Et juste des attentes de ce que je pensais pouvoir faire de ma vie. J’ai en quelque sorte mis cela en veilleuse. […] Ça a complètement changé mon identité parce que je, je, mon idée de ce que je pensais faire comme carrière, non. Mon contrôle sur, vous savez, parce que – Sur le fait d’avoir un emploi et une stabilité financière, non. Tout contrôle sur, vous savez, je marche dans cette direction et je… C’est très bien et tout ça, mais j’ai l’impression de ne pas avoir atteint mon but, mais je veux dire, je suis une mère, oui. – Kim, mère.
Si certaines familles sont en mesure d’assumer les dépenses ou de s’endetter, pour d’autres comme Béatrice, les coûts sont tout simplement rédhibitoires et ne lui permettent pas de supporter son fils incarcéré par des visites, des appels ou de l’argent à la cantine.
C’est ma façon de me racheter parce que j’ai beaucoup de peine et beaucoup d’empathie pour la famille. Même qu’on a donné un montant d’argent qu’on n’a pas. On l’a offert à la famille. On a emprunté pour le donner. C’est sûr que fort probablement ils vont nous poursuivre, c’est ce que j’ai su dernièrement. Pis t’sais, il n’y a rien qui s’achète, ça ne s’achète pas ça la paix. – Anne, mère.
3. La santé mise à l’épreuve
L’incarcération d’un proche est une épreuve qui se traduit également par des conséquences psychologiques et physiques pour l’entourage parmi lesquelles angoisses, inquiétudes, trouble du sommeil, prise ou perte excessive de poids, problème de tension, grande fatigue physique et morale sont souvent mentionnés.
J’étais suivie par un psychiatre, trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive due à un stress familial majeur. – Noémie, mère.
Et donc, je dirais que, pendant les 6 premiers mois après que cela soit arrivé, j’étais en état de choc. J’étais gelée. Et je, je ne savais vraiment pas comment m’aider à traverser cette épreuve. – Erika, mère.
Bien, dans le fond, j’ai toujours eu des problèmes de… […] des crises de panique. Mais, en fait, j’en faisais comme pas. Mais… quand ça, ça a commencé, c’était… c’était terrible, là. J’ai commencé à faire de l’insomnie. Je ne dormais plus. Je… si je dormais deux heures par nuit […] Là, je faisais des crises de panique tout le temps […] Puis ça l’arrêtait juste pas. T’sais, ma mère m’a rentrée à l’hôpital trois fois en une semaine, t’sais, genre. Parce que je ne respirais plus. Je n’étais même plus capable de me lever, là, t’sais, de marcher puis, genre, c’était comme… j’étais en panique totale. – Olivia, fille.
Juste le mental – Vous savez, ça m’a affecté. Je suis sous traitement. J’ai de l’anxiété. […] Vous savez, parfois j’ai juste envie d’être tenu. <l’abattage> Et la pensée de devoir, vous savez, m’habiller convenablement et sortir en société tous les jours me terrifie un peu. Donc, vous savez, ça a affecté ma santé mentale. C’est, vous savez, je fais toujours face. Cela a affecté ma santé. Je me suis retrouvé à l’Institut de cardiologie avec des tests pour les douleurs de poitrine. Ma plus jeune a toujours, elle est toujours inquiète pour moi. L’effet que cela a sur moi. Et, vous savez, elle me dit : “Tu n’es plus la même personne qu’avant.” Je ne le suis plus, tu sais – Ça m’a beaucoup changé. J’étais beaucoup plus facile à vivre et plus heureuse, et j’ai toujours l’impression que les larmes sont là, vous savez ? – Kim, mère.
Eh bien, je suis toujours en verre. Il ne faut rien pour que je sois en larmes et je me réveille et beaucoup de matins, je descends et je dis à Jeff que j’ai juste une matinée difficile. Je m’effondre. Désolé… Oui, on se rend compte qu’on passe des mois à se dire : “Je n’ai pas respiré à fond. J’ai tout le temps des halètements. (pleurs) C’est comme si j’avais dit à “C” un jour, j’ai dit tu sais quand tu peins une pièce d’une couleur vive et que tu dois toujours mettre une couche de fond grise en dessous ? Même quand il y a des jours clairs, cette couche de fond est toujours là. Je suis toujours triste. Je ne suis jamais pas triste. – Inès, mère.
Ce nuage gris sur le bien-être des proches persiste sur de longues périodes dans les cas d’incarcération multiples comme dans le cas du fils de Béatrice.
C’est tellement mauvais. C’est tellement horrible… C’est blessant. ça m’écrase de le voir là… Et il reste toujours pendant des années. […]Il me manque, vous savez, et je me sens mal pour lui parce que la plupart de sa vie […] C’est, comme, c’est, comme, de 17 à 27 ans il aura passé 9 ans à l’intérieur. Il n’est sorti qu’un an et trois mois en dix ans. Donc, je ne peux même pas comprendre, genre, je me sens tellement mal pour lui qu’il n’a pas eu de vie, de petite amie, il n’a pas commencé, vous savez, quoi que ce soit. Et je m’inquiète pour son avenir. Je m’inquiète pour quand il sortira, qu’est-ce qu’il fera cette fois ? Quoi, tu sais, s’il va retourner sur cette scène de la vie ? Et donc, et parce que je sais qu’à chaque fois que tu as des ennuis, c’est de pire en pire. Tu sais, de plus en plus de temps, donc c’est ça qui m’inquiète. Qu’il en sorte et qu’il ait des ennuis. Je ne veux pas qu’il y passe toute sa vie. – Béatrice, mère.
Dans les cas où les proches ne sont pas inquiets d’une potentielle récidive, ce sont les implications à long terme du casier judiciaire qui suscitent une angoisse constante quant au futur de la personne incarcérée qui ne peut être envisagé sereinement.
Elle ne se termine pas et ne se terminera jamais. Ce sera toujours avec notre famille. Cela aura un impact sur le potentiel de gain de mon fils, même s’il est très bien éduqué, qu’il a déjà un diplôme universitaire et qu’il a maintenant, vous savez, un certificat d’études supérieures de l’époque où il était à l’intérieur. Très bien éduqué. Il ne réalisera jamais son propre potentiel. Nous pourrions finir par le soutenir pour le reste de sa vie, le reste de notre vie. Qui sait ? Parce qu’il ne gagne pas assez d’argent en faisant ce qu’il fait pour subvenir à ses besoins. Nous pensons qu’il est important pour lui qu’il vive seul, alors nous complétons ce qu’il apporte pour nous assurer qu’il a assez pour vivre. Ainsi, sa vie ne sera jamais ce que nous avons envisagé pour lui. Ce qu’il a envisagé pour lui-même. Donc, à notre mort, vous savez, est-ce que ses frères et sœurs se sentiront obligés s’il n’a pas pu se remettre sur pied ? S’il ne peut pas trouver un emploi qui paie plus que le salaire minimum ? Pour pouvoir subvenir à ses besoins, se sentiront-ils une obligation financière ? Je dois vous dire que j’ai cette incroyable envie d’épargner, d’épargner, d’épargner, d’épargner, d’épargner pour qu’à notre mort, nous puissions laisser assez d’argent, vous savez, pour tous, afin qu’ils n’aient pas à se sentir obligés de le soutenir. Pas complètement, parce que, vous savez, il trouve du travail mais il est assez difficile de vivre avec le salaire minimum. Quoi qu’il en soit, c’est donc le don qui continue à donner. Et pas dans le bon sens. C’est le squelette dans le placard, mais les implications sont bien plus importantes que le simple fait d’avoir un squelette dans le placard, vous savez, en ce qui concerne mon fils qui a été incarcéré, pour le reste de sa vie, vous savez, comment va-t-il pouvoir se sentir bien dans sa peau ? Tout le monde veut un emploi où il peut apporter sa contribution. Il veut vraiment être capable de contribuer. C’est dur, dans les emplois au salaire minimum, de sentir qu’on contribue vraiment. Les gens vous traitent comme de la merde, vous savez ? Alors, vous savez, qu’est-ce que ça fait à son estime de soi ? Et en quoi cela nous ronge-t-il en tant que parents ? Oui, c’est le cadeau qui continue à donner. Je dirais que ce n’est jamais fini. Ce n’est jamais fini. Ça s’améliore, mais ce n’est jamais fini. Ce n’est jamais fini. C’est une sentence à vie. – Erika, mère.
Le mal-être physique et psychologique des proches est parfois directement attribuable au milieu carcéral. Le souci pour la sécurité de la personne incarcérée, les séquelles des fouilles lors de visites, le traitement reçu de la part de certains membres du personnel correctionnel sont parmi les nombreuses causes mentionnées par les personnes rencontrées.
Ces deux dernières nuits, je n’ai pas dormi. J’ai rêvé de ce stupide scanneur d’ions, vous savez ? Et je me réveille littéralement quatre, cinq ou six fois par nuit, j’en rêve parce que ça me fait peur. – Inès, mère.
Pour certains, cette épreuve se traduit par une consommation accrue de produits pharmaceutiques, de tabac, d’alcool et de drogues [DT1]. Si nos interlocuteurs n’ont pas évoqué d’automutilation ou de tentative de suicide, les symptômes de mal-être évoqués par les participants lors de leurs entretiens sont très proches de ceux mentionnés dans le rapport du CFCN (2003). [DT3] .